THÉÂTRE ZINGARO


Lyon, France

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Polka Magazine

Bartabas Caravansérail
Ils sont quarante autour de lui, cavaliers et clowns, palefreniers et musiciens, voltigeurs et costumières, tous unis par le même amour du cheval et du chapiteau. Si Bartabas est le patron charismatique, fier et respecté, les chevaux sont les vraies stars. C’est à leur rythme que vit cette troupe pas comme les autres. Cet été, à Lyon, avant le grand show parisien d’octobre, Bartabas a accueilli Polka dans son village de caravanes et de mobil-homes. Entre répétitions, spectacle, détente à la guinguette et coups de gueule… Bienvenue chez Zingaro.

Le loup de Zingaro
Lundi 6 juillet, 8 h 20. Il fait déjà chaud. 28 degrés. Comme tous les matins, les cavaliers se dirigent vers les box. Certains sont déjà à cheval, Bartabas en tête, sur son magnifique lusitanien, Le Caravage. Tout se passe dans le calme. On entend juste les claquements de langue, les sabots taper sur le sable. Rien d’autre. Plus loin, des palefreniers s’apprêtent à rentrer le troupeau des vingt-huit criollos argentins qui ont toujours vécu ensemble. Ici, les chevaux tiennent les rôles principaux, tout le planning de la journée tourne autour d’eux : sorties, détente, nourriture, soins et entraînement.

La compagnie Zingaro ne ressemble à aucune autre troupe. C’est un théâtre équestre qui associe plusieurs disciplines artistiques comme la musique, l’acrobatie et la scène. Les cavaliers sont des acrobates ou des voltigeurs qui, parfois, apprennent à monter à cheval sur place.

Zingaro, c’est aussi un art de vivre, un état d’esprit. Le « domicile fixe » est le fort d’Aubervilliers, près de Paris, mais la compagnie est souvent sur les routes. Tous cohabitent comme dans un village de caravanes et de mobil-homes. « Ici, le temps passe très vite. Ce sont les enfants qui nous le rappellent », raconte Bartabas en regardant courir la jeune Isia, la fille d’une des cavalières, âgée de 12 ans et demi, vers la piscine aménagée du côté des douches communes. « Beaucoup de gens qui nous ont rejoints avaient l’habitude de changer de boulot tous les deux ou trois ans. Et ils sont là depuis dix, quinze ou même vingt ans. Sur les quarante personnes de la compagnie, on compte quarante motivations différentes. Certains sont ici pour travailler avec moi, d’autres pour la vie avec les chevaux. Il y en a même qui viennent uniquement pour le trip du chapiteau ! »

Bartabas, Clément Marty à la ville, surnommé Martex par la troupe, est le chef du village. Il l’a créé il y a trente ans. « Une histoire de copains » comme le rappelle Paulo, l’ex-bassiste des Négresses vertes : « A l’époque, c’était vraiment rock’n’roll. On dormait à la belle étoile ou dans les cabines des camions. Aujourd’hui, c’est différent. Zingaro s’est transformé en une grosse entreprise, mais les gens restent tous très motivés. »

Chaque création est un rendez-vous qui se renouvelle presque tous les trois ans. La compagnie est indépendante. Pas de compte à rendre, si ce n’est à la troupe elle-même. « Quand on commence un spectacle, on démarre avec un trou de 2 millions d’euros, et on revient à l’équilibre au bout de deux ans, détaille Bartabas. Tout est réinvesti constamment. On ne peut pas se mentir. Ici, on sait pourquoi on travaille aussi durement. Le fait de tourner dans toute la France nous permet de ne pas épuiser notre public, au contraire, on l’agrandit. » Pour Etienne, un des pionniers, 44 ans dont vingt-cinq passés chez Zingaro, « Martex est une machine de travail qui réfléchit à tout, tout le temps ». Une personnalité complexe qui vit à cent à l’heure et qui aime bien gueuler ! « Quand il s’énerve, il ne vise personne. Il fait passer un message et c’est à nous d’agir, confie Messaoud, un autre ancien, qui connaît Bartabas depuis
vingt ans. Je le compare souvent à un animal. Un loup qui observe de loin et qui s’approche doucement.

Tous les jours, après les échauffements des chevaux, la troupe se retrouve devant la caravane du chef pour le débriefing du spectacle de la veille. On visionne les scènes qui ont posé problème. Ce matin-là, on en veut à Joseph, le dindon, qui a refusé de suivre le groupe. « On va finir par le bouffer », claironne en riant un technicien.

L’un des tableaux de « On achève bien les anges. (Elégies) ». Sur un air de Tom Waits, Bartabas se faufile entre les tombes portant les symboles de différentes religions. Autre problème : le chapiteau est couvert de calcaire. A force de l’arroser, la toile a blanchi. On doit réfléchir à une autre solution pour combattre la canicule… L’ambiance est légère, les blagues fusent. Cécile, la nouvelle assistante du patron, prend des notes.

12 h 30, la troupe s’éparpille pour le déjeuner. Chacun chez soi, pas de banquet commun. Eventuellement, on se retrouve chez Messaoud pour le café. Martex avale une salade sur la petite terrasse qu’il a aménagée avec des guirlandes multicolores, façon guinguette. C’est son espace, un endroit un peu hors du temps. Sa caravane, flamboyante, est tout équipée, cuisine et salle de bains en bois. Ce n’est pas grand mais coquet. Beaucoup de souvenirs de voyages, de cadeaux des copains, des photos de ses deux fils, qui mènent maintenant leur propre vie. Quand la radio n’est pas allumée, c’est sa minichaîne hi-fi qui fredonne. En ce moment, il écoute des chants de voyageurs irlandais. « J’ai envie d’en faire un spectacle. On verra. » Avant la sieste, il feuillette le programme du Festival international du film de La Rochelle qu’il vient de recevoir. Un long-métrage sur lui et son Caravage, réalisé par Alain Cavalier, y a été projeté la veille. « C’est l’histoire d’un mec qui est sur son cheval tous les matins entouré que de femmes. » Un travail qui a duré huit ans et qui sera dévoilé au public le 28 octobre.

Les caravanes se ferment doucement, certains dorment dans les hamacs à côté. On entend les cigales. Seul William, ancien champion de mât chinois, profite de cet instant de quiétude pour s’entraîner sur les tapis de sol posés au milieu du campement.

Peu à peu, la vie va reprendre son cours. Les musiciens ouvrent le bal, avec François, le compositeur, en tête de file. Il distribue des partitions aux élèves les plus assidus comme Arthur, jeune cavalier arrivé seulement en début d’année. « Martex cherchait un acrobate qui sache jouer de la clarinette, je n’ai pas hésité une seule seconde », raconte-t-il. Le jeune homme, originaire de la banlieue parisienne, pensait ne plus pouvoir retravailler après s’être cassé les deux talons d’Achille. Il a passé cinq mois dans un fauteuil roulant. « Plus que travailler avec Bartabas, je voulais connaître cette expérience de vie. Et c’est vrai que ce n’est pas facile tous les jours. Les filles prennent souvent peur quand je les amène ici… » Le mélange vie privée, vie professionnelle est ce qu’il y a de plus difficile. Ils sont unanimes : il faut éviter les histoires. Facile à dire, pas facile à appliquer…

L’orchestre répète du côté des loges. Tambourins, flûtes, trompettes : l’ambiance est festive. Yannick, la costumière depuis toujours, rapièce. Les cavaliers émergent. Mathias, le plus jeune, la grande fierté de Zingaro – « Il a passé le bac chez nous ! » –, détend son corps longiligne avant de monter en selle. D’autres donnent une douche à leur monture. C’est l’effervescence avant le spectacle.

À 19 h 30, rendez-vous dans les loges. Bartabas rabroue les étudiants engagés par Les Nuits de Fourvière, qu’il juge un peu trop détendus à son goût. « On va leur mettre la pression aux petits jeunes ! Avant ils balisaient ; maintenant ils se relâchent. » Bartabas observe sa troupe. Pas de tension. Pourtant, plus de 1 200 spectateurs attendent dans la guinguette de l’autre côté du terrain. Comment rester aussi serein ? « Dans le théâtre, on dit toujours qu’on travaille jusqu’au dernier moment. Avec les chevaux, ce n’est pas possible. Ils ressentent tout. C’est pour cela que je fais trimer tout le monde avant, comme ça, lorsque le jour de la première arrive, c’est un jour normal, sans panique ni aucun stress. » Les musiciens déguisés en clowns bouchers introduisent le premier tableau. Plus de deux heures de prouesses acrobatiques et de dressage. La température dépasse les 40 degrés. Un délire spectaculaire dont les sujets sont graves et inspirés de l’actualité : religion, attentat contre « Charlie Hebdo », mort de Cabu, l’ami de Martex. Le public est ému, séduit, conquis.

Après minuit, l’équipe se retrouve dans la guinguette. On mange une salade, on boit quelques bières. On décompresse. Bartabas est là. Il regarde. Assis sur le bar, il veille. Quand le petit garçon de son directeur technique lui lâche, droit dans les yeux : « Hé ! Zingaro ! c’est vrai que tu ne souris jamais ? », il acquiesce en esquissant un sourire moqueur.

Adélie de Ipanema